L'ouvrage, dirigé par Charlotte Denizeau-Lahaye, est publié ce mardi 16 décembre 2025 aux Éditions Panthéon-Assas
Retrouvez ci-dessous notre entretien avec Charlotte Denizeau-Lahaye, maître de conférences et co-directrice du master Droit public comparé à l'Université Paris-Panthéon-Assas, au sujet de son ouvrage paru aux Éditions Panthéon-Assas.
Par l’étude de la « composition » des cours constitutionnelles, l’ouvrage entend approfondir une problématique nodale et névralgique du constitutionnalisme contemporain : comment faire en sorte que les processus de sélection et de nomination des juges constitutionnels garantissent au mieux l’indépendance, l’impartialité et la légitimité de ces juges, chargés de la tâche essentielle, dans un État de droit, de contrôler la conformité des lois votées par le législateur à la volonté des pouvoirs constituants ?
Cette question est cruciale, car le rôle des cours constitutionnelles est aujourd'hui fragilisé par les critiques récurrentes venues de toute part, largement relayées dans les discours populistes électoralistes. On dénonce la politisation excessive, la dépendance à l’égard des autorités de nomination, l’instrumentalisation idéologique, l’activisme judiciaire, le « gouvernement des juges », etc. Cette défiance interroge directement la légitimité de ces juges, dont la mission de contrôle de la loi votée par la majorité suppose de hautes compétences, une réelle indépendance et une impartialité effective.
À travers l’analyse des processus de sélection et de nomination, et à la lumière des analyses comparées, l’ouvrage entend éclairer ces enjeux essentiels afin de contribuer à garantir, sinon rétablir, la confiance des citoyens envers le juge constitutionnel dans sa fonction de contre-pouvoir.
L’enjeu procédural concerne les modalités de nomination des juges constitutionnels. Il s’agit d’identifier qui nomme, selon quelles procédures, avec quels équilibres institutionnels et quels mécanismes de contrôle éventuels en amont et en aval. Ces juges ne sont pas des juges comme les autres : ils jugent des lois et non des hommes. Cette spécificité impose qu’ils ne soient pas recrutés comme des juges ordinaires. Le droit comparé révèle une très grande diversité des systèmes : nomination par une ou plusieurs autorités politiques, interventions alternatives du Parlement, de l’exécutif ou d’organes ad hoc, procédures d’audition plus ou moins contraignantes, majorité qualifiée requise ou décisions discrétionnaires... Cette diversité est marquée par un invariant : l’implication, directe ou indirecte, d’autorités politiques dans le processus de nomination. Cette constante, qui apparaît comme consubstantielle à la spécificité de la fonction de juge constitutionnel, produit des effets antagoniques qu’il faut pourtant apprendre à tempérer. Si elle renforce et assoit la légitimé démocratique - même si elle est parfois très indirecte - des juridictions constitutionnelles, elle entretient les soupçons de politisation qui les affectent.
L’enjeu matériel s’intéresse aux profils des juges nommés. Il interroge les conditions d’accès aux fonctions de juge constitutionnel : qualifications juridiques exigées ou non, expériences professionnelles valorisées, place des universitaires, des magistrats, des avocats et des personnalités politiques ; mais aussi exigences éthiques et déontologiques, critères éventuels de représentativité (culturelle, linguistique, religieuse, de genre, etc.) et de diversité. À leur tour, ces exigences, explicites ou implicites selon les systèmes étatiques, jouent un rôle central dans la légitimation des juridictions constitutionnelles et dans la perception de la capacité, de la compétence et de l’éthique des juges à exercer leur fonction de contre-pouvoir.
La perspective comparée est indispensable pour trois raisons au moins.
La première est qu’elle permet de dépasser une lecture strictement nationale des critiques adressées aux juridictions constitutionnelles en général et au Conseil constitutionnel en particulier. Les interrogations relatives à la politisation, à l’indépendance ou au gouvernement des juge ne sont ni nouvelles, ni propres à un seul État : elles traversent l’ensemble des démocraties constitutionnelles.
Deuxièmement, la comparaison met en lumière le caractère profondément contextuel des modes de composition des cours constitutionnelles. Les procédures de nomination sont étroitement liées à l’histoire politique, à la culture juridique, à l’architecture institutionnelle et aux types de contentieux confiés à cette juridiction. Il n’existe pas de modèle universel transposable, mais une pluralité de réponses constitutionnelles et institutionnelles à des contraintes et à des contextes différents.
Enfin, l’approche comparée permet d’éviter deux écueils : celui d’une vision idéalisée d’un système parfait et a-politisé (qui n’existe pas), et celui d’un relativisme désabusé selon lequel toutes les solutions (mauvaises par essence) se vaudraient. La perspective comparée invite à la nuance et la lucidité ; elle offre un cadre d’analyse propice à une réflexion critique sur ce qui peut être amélioré dans les systèmes existants, sans idéalisation ni résignation.
Le comparatisme n’a pas ici pour mission de désigner un « bon modèle » universel, mais de fournir une grille d’analyse rigoureuse pour identifier les points de fragilité, les mécanismes pervers et les leviers d’amélioration possibles dans les différents systèmes étudiés.
Les critiques populistes constituent un défi majeur pour l’avenir de la justice constitutionnelle, à deux niveaux.
Sur le plan sociologique et psycho-affectif, elles fragilisent la confiance des citoyens. Or, le juge constitutionnel n’est efficace que s’il jouit d’une autorité morale et sociale suffisamment forte pour que ses décisions soient acceptées par tous. Ces critiques, basées sur l’argument que le juge constitutionnel serait un obstacle à la volonté du peuple majoritaire, visent à alimenter une défiance qui peut à terme éloigner les citoyens de la justice et des urnes, en banalisant l’idée que les contre-pouvoirs ne valent que s’ils confortent la majorité.
Sur le plan institutionnel, le risque est grand que ces critiques servent de matrices à des stratégies étatiques de capture ou d’affaiblissement de la justice constitutionnelle. La capture consiste à toucher à la composition de la juridiction, en remodelant les règles de nomination, en modifiant les équilibres, en augmentant le nombre de juges, en abaissant les exigences, en accélérant les nominations, c'est-à-dire plus généralement en créant des conditions favorables à des nominations politiquement orientées. La stratégie de l’affaiblissement consiste à toucher aux compétences : réduire le contrôle, imposer une déférence accrue, limiter les réserves d’interprétation, restreindre l’accès au juge, avec une finalité, neutraliser le contre-pouvoir.
Lorsque la critique devient un instrument politique, elle contribue à fragiliser un des acquis majeurs des démocraties contemporaines, basé sur l’idée que la démocratie ne se réduit pas au vote, mais suppose des limites et des garanties effectives.
Cet ouvrage s’adresse d’abord aux universitaires, chercheurs et étudiants en droit, en sociologie politique, en science politique, ou encore en histoire qui s’intéressent à ces problématiques. Ils trouveront ici des contributions écrites par les meilleurs spécialistes, réunies dans un ouvrage qui n’a pas d’équivalent. Il vise également les praticiens et les acteurs publics en France et ailleurs - magistrats, avocats, conseillers publics, responsables politiques et administratifs -, qui, à des degrés divers, peuvent être confrontés aux questions de nomination, d’indépendance et de légitimité des juridictions constitutionnelles.
Enfin, au-delà du cercle des juristes, il intéressera un public plus large de citoyens attentifs au fonctionnement démocratique, qui souhaiteraient comprendre en quoi la composition des cours constitutionnelles est un enjeu central des débats contemporains sur l’État de droit dans les démocraties libérales.
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