Au rebours de deux discours simplistes, l’un ancien saluant l’avènement de l’individu libéré des chaînes du collectif, l’autre, plus récent et proliférant, déplorant le narcissisme [1] de l’individu moderne oublieux des engagements envers autrui, ce numéro explore toute la richesse des relations entre le moi et ses expositions médiatiques ; centré sur le XXe et le XXIe siècle et leurs médias (radio, cinéma, blogues, musique), il considère aussi des débats et des outils anciens, comme la correspondance depuis l’Antiquité.

Cette introduction met en perspective historique, sur le long terme, ce surgissement contemporain de la question du narcissisme. Après un mot du lexique du narcissisme [2], et de ces deux notions jumelles, ego et narcisse, nous chercherons leurs racines dans l’histoire de la culture occidentale, où existe de longue date une tendance au procès des Narcisse, égoïstes et autres égotistes, mais aussi un souci de réhabilitation ; nous discuterons la montée supposée de l’individualisme, comme fond nécessaire à l’attachement au moi, à l’ego ; enfin, nous verrons se déployer l’ego dans les médias, avant d’en venir à notre sommaire, dont les auteurs, pour l’essentiel, n’ont pas le goût du procès.

Historiens des médias, nous connaissons bien le faible pour les réquisitoires [3] : Narcisse et médias se rejoignent, ici, comme objet d’une critique parfois obsessionnelle. S’il faut considérer cette critique, c’est à la fois pour comprendre pourquoi l’objet de nos recherches, narcisse ou médias, fait cible si commode à la critique, et bien sûr pour la dépasser, révélant la richesse des transformations qui se jouent, à travers les médias, entre le moi fragile et les divers collectifs auxquels il s’ajuste, dans une instabilité technologique et sociale qui serait, peut-être, la véritable nouveauté de notre temps…